ET CECI SE PASSA EN DES TEMPS TRES ANCIENS

Et ceci se passa en des temps très anciens


 © ROSELYNE PATINET, née VINCENT

 

Damoiselle Béatrice, le fils du roi
et
la sorcière Gothon.

 
 


Il était une fois, un très haut seigneur, messire Hubert de Villefranche, et Dame Aloyse, son épouse, qui avaient deux filles, d’une si grande beauté, qu’il n’était point de ménestrel qui ne les célébrât.
Ce fût au sortir de l’hiver, dans la cour intérieure où les violettes embaumaient, que le fils du roi, entouré de nobles dames et de grands seigneurs, ouït l’un d’eux.
Et celui-ci, au son du Luth, d’évoquer Damoiselle Yolande.
Sur son front une perle tremblait. Ses tresses noires exhalaient un lourd parfum. Ses prunelles vertes resplendissaient dans son visage ambré. Ses lèvres étaient rouges comme la fleur du grenadier… Elle allait toujours accompagnée d’un lévrier, ce qui seyait à sa grâce altière.
Un murmure d’admiration parcourut l’assemblée. On applaudit fort. Et l’on se récria plus fort encore, disant que Damoiselle Yolande se devait d’orner la cour et ne point demeurer plus longtemps en sa lointaine province.
Mais le ménestrel préludait de nouveau. Et les accords vibraient avec une telle douceur que le silence se rétablit bientôt.
Alors, il parla de Béatrice.
Elle nouait ses blonds cheveux avec des fleurs, elle avait un regard immense et bleu comme une aube d’avril, une bouche petite et un sourire si suave que tous les humbles se pressaient autour de sa litière tendue de satin blanc, rien que pour recevoir un sourire d’elle.
Dans le ravissement, chacun se taisait. Le ménestrel touchait les cordes de son luth avec une frémissante douceur. Le fils du roi, très pâle, appuyait sa tête contre le dossier de son siège armorié, et fermait les yeux. Il était blessé d’amour.


***


Nulle circonstance ne lui paraissait mieux adaptée, il choisit de rencontrer Damoiselle Béatrice aux fêtes du renouveau.
Ces fêtes se déroulaient par tout le royaume au mois de mai. Et il était dans les charges du prince d’avoir à se rendre, chaque printemps, en une ville différente, pour y présider les tournois, tirs à l’arc, jeux floraux et autres, que comportaient ces fêtes.
Il dépêcha donc ses hérauts pour annoncer sa venue.
La nouvelle mit la ville en liesse.
Mais Dame Aloyse fut à se réjouir plus que tout autre. Elle estimait la venue du fils du roi particulièrement propre à servir l’ambition qu’elle nourrissait à l’égard de Yolande. – Elle n’avait d’inclination que pour elle, en raison d’une ressemblance de visage si étroite, que chaque jour, elle lui rappelait combien elle avait été belle jadis. – Sans plus tarder, elle fit appel aux couturières les plus réputées, aux orfèvres les plus fins, aux brodeuses les plus habiles, disant à quiconque la voulait entendre, que ses filles se devaient de soutenir une renommée qui attirerait tous les regards sur elles.
Mais ce n’était là que prétexte, et destiné à revêtir Yolande avec une somptuosité qui surpasserait celle de la Cour.
Dame Aloyse la voulait à nulle autre comparable, dans le seul dessein que le fils du roi demande sa main.
Ainsi fut-elle en proie à l’émotion la plus vive, lorsque le premier essayage révéla que Yolande, vêtue de brocard d’or et parée d’émeraudes, ne prévaudrait cependant pas sur Béatrice, dont la fraîcheur serait exaltée par une robe de soie blanche, que les brodeuses ornaient d’églantines à peine entrouvertes, comme ses blonds cheveux en seraient couronnés.
Quel préjudice ne porterait-elle point à sa sœur !
Qui sait même si le fils du roi n’inclinerait pas vers elle ? Il s’imposait qu’elle ne parut point à ces fêtes. Mais sous quel prétexte ? N’en trouvant point, et les jours passant, Dame Aloyse résolut de s’en remettre à la sorcière Gothon, cette nuit même.
Elle attendit que la lune s’élève au-dessus des peupliers.
Alors, brandissant une torche allumée, elle s’engagea dans l’escalier qui montait en spirale vers la tour la plus haute. Et là, se tournant vers l’Orient, elle invoqua Gothon.
Celle-ci, à califourchon sur un manche à balai, surgit dans le ciel. Pour descendre jusqu’à Dame Aloyse, elle se fraya un chemin parmi les étoiles. Au-dessus des créneaux, elle s’immobilisa enfin. Dame Aloyse saisit l’un des pieds nus et crasseux qui dépassaient sous les larges jupes, et le baisa avec humilité.
« Ô Gothon, je ne saurai jamais assez te remercier pour la célérité avec laquelle tu as répondu à mon appel. »
« Eh ! Eh ! Eh ! ricana Gothon, je te débarrasserai de Damoiselle Béatrice avec non moins de célérité. Sais-tu qu’elle grossira fort à propos le nombre de mes servantes ? J’ai tant d’ouvrage que toutes ces mignonnes n’y peuvent fournir, malgré leur zèle. C’est ainsi que Damoiselle Béatrice s’occupera de piéger les colombes. »
« Ô Gothon, est-il vrai que l’on demeure à ton service jusqu’à la fin des temps ? »
« Ferais-tu des réticences à ce sujet ? »
« Nenni, quand une telle clause me satisfait au-delà de toute espérance. »
« Alors, Dame Aloyse, n’ajoutons rien de plus, nous nous sommes comprises. »
Et toujours ricanant, la sorcière partit en flèche vers le plus haut du ciel.


***


TABLE DES CONTES


Et ceci se passa en des temps très anciens…
 
7 Damoiselle Béatrice, le fils du roi et la Sorcière Gothon.
63 Léla au doux cygne
 
93 Les dames de la forêt
 
119 Table des Contes
 
123 Œuvres de Marie Laure Bressuire





RETOUR

Facebook