VOYAGES



VOYAGES


 © PATINET THIERRI ERIC


I

 
Éden



 
AUX PEUPLES DU MONDE, À TOUS CEUX QUI DE LEUR ÂME, DE LEUR ESPRIT, DE LEUR CORPS, ONT FAIT ABANDON POUR LE DON, QUI DE LEUR TOUT ONT RÉVÉLÉ L’UNIQUE, JE RENDS GRÂCE CAR ILS SONT FRUITS DE NATURE ! …
 
Ainsi disait-il, et tous l’écoutaient, car en lui tous se reconnaissaient. Assis sur un roc, vêtu d’un seul drap usé flottant au large de l’horizon, les mains tendues vers ses frères, les Êtres, vieux était-il, mais son visage gardait la pureté insigne de la Vie, semblable à un Dieu, ce n’était qu’un berger.
 
Alors que dansaient les dernières lueurs du jour et que s’annonçait par-delà les étoiles l’hymne de la nuit, ils dressèrent un feu avec tout ce que le rivage laisse au bonheur des flammes, puis, lorsque sombra la comète du matin et qu’à sa place s’installa le disque noir, ils firent un cercle autour du rocher où se trouvait le vieil homme illuminé par la lumière de leurs travaux, douce chaleur bénissant les espaces.
 
Une voix fusa
 
« Raconte-nous ! Ne nous laisse pas ! Raconte-nous, ce long voyage, oui… »
 
Cri de l’Enfant au milieu de tous silencieux, émus des larmes de l’Amour et de la Sagesse, regards portants sur cette petite fille dont l’ombre au crépitement des branchages jouait lentement parmi les herbes et les mousses, regards fixés sur le ciel, là où se trouvait le vieillard, celui qui savait.
 
Il apparût.
 
Sa chair, svelte encore, appuyée sur une branche, il venait à eux ; deux jeunes garçons s’offrirent à l’aider pour descendre du rocher, il ne les refusa point, et c’est ainsi qu’il vint soutenu par la vigueur de la jeunesse au milieu de tous et que tous le remercièrent…
 
Après s’être réchauffé les membres et couvert d’une ample pelisse, il regarda autour de lui, aperçu dans la foule qui l’entourait les nattes blondes de l’Enfant, la pria de le rejoindre, lui permit de s’asseoir à ses côtés. Docile, elle se prêta à sa demande. Il l’embrassa, puis, levant les yeux vers les sphères lumineuses, il se mit à parler…
 
Voix !
 
Voix qui dans la Voie lactée, profondeur des Océans, coule et renaît, se fraye un passage jusqu’au Soleil puis éclate dans le firmament comme symbole d’un message qui se doit de vivre alors même que se tait la Vie …
 
Voix !
 
Voix sans sommeil, telle une source aux lacets des montagnes vibrants de chants, conte de l’histoire des pierres et des sables, portant l’éveil du renouveau au passé comme au futur, à l’Éternel assouvissement de l’Éternel …
 
Voix !
 
Voix de ces mille et un sis aux étoiles, raillant la boue des ruines de l’Humain, comme le vieillard de ce Monde protégé du granit des vents, usé par les pluies de Soleil, au feu d’une Sagesse limpide, fleur de la Pensée …
 
Voix !
 
Voix de ceux qui dans l’harmonie sont l’harmonie d’un épanchement, du nom serein de la Nature, tel l’épanchement du Verbe de cet Être contant aux mémoires l’histoire de la pérennité de la Vie !
 
«  … Du plus loin que remontent mes souvenirs fixés en ma mémoire, malgré les diversités serviles qui font l’éveil de la pensée, je garde le goût d’une saveur indélébile, celui de l’apothéose, celui du chant éternel de la Vie, celui de la Nature,
 
Car, et ce disant, je vous regarde et vous pose cette question : ne sommes-nous pas la Terre et la Terre nous-mêmes, ce limon qui glisse nos pas, ce vent qui dans l’azur fait entendre son cri, ce Soleil qui, dans le matin, d’un seul rayon anime nos cœurs et leur rend la félicité, cette pluie, qui de l’astre descendu, rafraîchit nos Âmes et leur offre une mélancolie éveillant mille sentiments, cette graine qui dans le sol germe dans le sommeil en l’attente d’un éveil lui permettant de naître à la Lumière ?
 
Oui, me répondez-vous, nous sommes cette Terre, et par là même, rajouterais-je, source de sa parure, celle qui autour de nous s’affirme en nous, celle, du nom de sœur, qui dans l’enchaînement de ses plaintes réclame à ses frères, les Êtres, l’Hymne d’une parenté de toujours, parenté de Nature …
 
Mais il me faut conter notre histoire, celle que, tous aujourd’hui, vous me réclamez, celle, sans âges, qui fût de vos pères et de vos mères, et qui, en ce jour, est vôtre.
 
Longue est-elle comme les voyages le sont lorsqu’ils apportent à l’Être le réconfort et la joie de la connaissance, car elle-même fût voyage et découverte… »
 
Le vieillard se tut un instant pour s’abreuver d’une liqueur de miel imbibée par les pollens de mille roses désignées, puis son regard se porta sur des formes lointaines ayant pourpre de citadelle pour sérail, ombres Humaines venues l’écouter chanter l’allégorie de leur présence vivante.
Il s’éveilla aux Soleils d’autrefois, puis, ranimé par les espaces grandioses que furent les destins de sa jeunesse,
 
Il se mit à parler …
 
«  … Je traversais un fleuve. Son lit était vaste et son eau limpide, d’une saveur délectable, propice aux baignades. La barque sur laquelle je reposais ruisselait de fibres de roseaux sous le scintillement des peupliers géants ourlant des rives diaphanes. Au milieu, sur un lit de mousse, je faisais dériver mes pensées dans l’Astre en l’attente de ce grand voyage auquel ma nature me conviait.
 
Heureux, je visitais de futurs rivages, traversais des chemins empourprés d’azur, irisais de mon chant vallées et montagnes, courrais, fertile vers un horizon de Paix …
 
Vers quel destin le futur me précipiterait-il ?
 
Je ne le savais, mais je reconnaissais en moi une force étrange, une force vive que nul n’eut pu faire tressaillir, pas même moi, m’emportant vers une destinée peu commune ! …
 
En ce temps, j’étais roi, car ma jeunesse me permettait de méconnaître les tourmentes de l’affaissement des sens. L’aube se levait en ma chair, et je sentais que j’allai là vivre jusqu’en ses moindres sillons, là ou peux s’aventuraient, dans un monde dont la figuration céleste improvisait le devenir de l’Éternité. Je me découvrais fertile et voulais féconder la Vie par toutes parcelles de l’infini, donc partir, partir vers d’autres lieux, d’autres espaces ; remparts de mon alacrité, les quelques-uns, autres que mes parents, qui auraient voulu que je restasse aux pays de mes Ancêtres étaient morts aux premières fleurs qu’avaient germé les vents, me laissant donc, seul, le souci de ma liberté …
 
Qui a connu et qui connaîtra le souffle de la jeunesse, son aventure folle, son intime conviction de la charité, saura se reconnaître en mon départ, départ où l’éveil de l’Âme et de la Chair, réunies par l’Esprit, attise de mille sentiments l’espoir, délivre le vouloir de la négation de l’habitude,
 
Faut-il le dire ou bien le répéter ?
 
De tous les âges de l’Humain, celui de la jeunesse est le plus beau; il est un fleuve qui mène au Soleil en abritant les yeux qui le portent des voiles mortelles de l’incertitude, de l’infect et de l’orgueil, par le jeu du dépassement, il court les vallons de la pensée et transmet à l’expression, tant du Corps que de l’Esprit et de l’Âme, le faste d’une candeur, symbole de pureté, il est l’improvisation même du futur, celui qui fort naîtra les forts, celui qui faible naîtra les faibles, mais toujours celui qui naîtra l’instinct de l’Humanité en chaque Être …
 
Et ce fût le départ !

 



Table

 

 
VOYAGES
 
 
 
Prélude
Impressions
Éden
Genèse
Galaxiales
Harmoniques
Nature
Temps
Impressions
Final
 



 
À Paris le 29/05/1976
A Le Pecq refonte le 20/10/1984
Refonte 23/03/2003 05/05/2004

2018
Vincent Thierry.

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